mercredi 26 septembre 2007

Partie 2 - Chapitre 17 - Epilogue

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Le soleil s’est levé de bonne heure ce matin. Moi aussi. Il est rouge et chargé de colère... et je le suis aussi. J’ai entendu dire qu’il ne faut jamais le fixer des yeux, cela pourrait les abîmer. Je ne peux me résoudre aux regards fuyants. Moi, je ressens le besoin de contempler assidûment ceux que j’aime. Et depuis que j’ai quitté en douce le centre hospitalier, le soleil, est le seul à me réchauffer le cœur. J’ai à faire aujourd’hui. Je vais rendre visite à mon protégé... enfin à celui que j'aurais aimé protéger. C’est bizarre, mais depuis que Dieu est mort rien n’a changé. Souvent j’avais imaginé que sa disparition engendrerait un chaos monstre sur cette planète. Et ben il n’en est rien. C’est à croire que Dieu ne servait plus. Il était tel un vieux jean délavé conservé avec une fausse nostalgie au fond d'une armoire. Ou alors, tout le monde s’en contrefichait. De Dieu... pas du jean. C’est vrai, sa mort n’est pas passée inaperçue puisque la télé a diffusé le procès de Fimevissipi. Pour autant, mon Père y a été montré comme un simple artisan en invalidité. Dans sa nécrologie concoctée par les pseudo-journalistes de la chaîne aucune allusion à son passé glorieux. Je sais qu’il ne faut jamais croire ce qui sort du petit écran, mais là j’en ai l’éclatante confirmation. La défense de Fimevissipi devant le tribunal n’était pas suffisante. Son discours est resté inaudible pour l’entière population. En l'absence de traducteur son plaidoyer fut perçu comme un gigantesque foutage de gueule. Certains considérèrent ses paroles comme celles d’un fou, d’autres comme une tentative de manipulation. Mais peu importe... la conclusion fut identique. Coupable fut le verdict, la mort la sanction. Ainsi le public s’était déchaîné. En masse il avait répondu présent et avec jouissance avait exercé son nouveau pouvoir, celui de vie ou de mort sur autrui. La chaîne organisa un tirage au sort parmi tous ceux qui avaient adressé le sms "à mort". Sous contrôle d'huissier il va de soit. Un homme courtaud au regard bovin arracha le gros lot. En larmes face aux caméras il raconta en ravalant sa morve son bonheur d'avoir gagné un magnifique appareil moderne de valeur dont il ignorait le nom et l'intérêt mais qui rendrait fou de rage ses voisins. Il ajouta que dès le départ il avait trouvé la réponse. C'tait facile l'aut' derrière la barre précisa-t-il c'était forcément lui le coupable car un gars qui jacte comme un forain c'est forcément un enculé et un enculé ben ça bosse pas alors ça n'a qu'ça à fout' que d'aller faire la peau à d'honnêtes Français. Le jeu fut une réussite. L’opération s’était avérée très juteuse pour la chaîne et la cagnotte débordait. J'entendis quelqu'un dire "Ils vont pouvoir se branler dans d'la soie". Je ne comprenais pas bien le sens de cette phrase mais je la répétais quand même. Dans les hautes sphères de la direction l’on étudiait déjà d’autres crimes susceptibles de combler les actionnaires. Un violeur présumé au regard vicelard était déjà sur les tablettes pour remplir la case du prime-time du samedi soir mais le directeur artistique de l'émission jugea le sms "à émasculer" trop complexe pour la majorité des téléspectateurs. Il soupira en regrettant que certains mots comportent plus d'une syllabe puis il organisa coup sur coup deux réunions de crise à l'issue desquelles il fut arrêté que pour l'émission du violeur le sms retenu serait "à castrer" mot bien plus intelligible pour le commun des téléspectateurs.



Mais revenons à Fimevissipi. En deuxième semaine les téléspectateurs devaient se prononcer sur la méthode d’exécution. Une nouvelle fois l’audience fut au rendez-vous. Ils l’ont enterré. Vivant. Ils l’ont enterré vivant. Enfin le terme n’est pas très adéquat. Plus précisément ils ont coulé son corps dans le béton mais n’ont pas enseveli sa tête. Alors comme au commencement seule sa tête est à la surface. Ainsi Fimevissipi ne peut s’étouffer. On dirait un champignon. C’est la faim qui doit le conduire vers sa fin. Un mois déjà et il refuse toujours de se faner. Les premiers jours les caméras diffusaient son agonie ou par flash quotidiens ou en permanence sur une chaîne dédiée du câble. Les paris allaient bon train. Combien de jours allait-il tenir? Tout le monde y allait de son pronostic, les experts en tous genres débattaient sur les plateaux télé. Et puis petit à petit le public s’est lassé. Le condamné ne jouait pas le jeu. Les prévisions les plus optimistes accordaient à Fimevissipi une survie de dix jours et nous en étions à plus de trente. Sûr l'émission était en perte de vitesse. Le coupable ne mourrait pas, les gens zappaient, tout cela maquait de piment. On invita de jolies filles. On leur demanda simplement de venir sans leurs vêtements. Lors du casting on regarda leurs seins et leurs fesses. Si tout tournait dans le bon sens on les félicitait. Un soir, sous de puissants jeux de lumières elles dansèrent autour de Fimevissipi avec ce qu'il faut de tissu mais pas plus. Elles le firent sans conviction et sur un béton froid. Rideau. Alors les caméras furent démontées et on laissa Fimevissipi dans son trou et dans l’anonymat le plus total. Carrière éphémère d'une star du petit écran. Moi, j'ai écouté sa défense face au tribunal et je sais qu'il n'y avait ni mensonge ni omission. Je suis heureuse de le revoir, lui qui me manque tellement. Il n’y a rien autour de lui. Une grande étendue de béton et sa tête perdue au milieu. Je m’assois face à lui. Ses yeux sont clos et au son de ma voix il peine à soulever ses paupières. Il est si affaibli.


  • Bonjour Fimevissipi, c’est moi Carol-Anne


Avec grande difficulté il me donne son sourire. Je porte à sa bouche l’eau que je lui ai amenée. Il avale laborieusement. Après quelques minutes il articule quelques phrases. Je les entends à demi-mot mais en comprend le sens. Ses racines ont repoussé et sont allées fendre le béton. Il ne peut quitter ce monde, il n'y arrive pas. La terre le nourrit et le maintient en vie, pire il s'endurcit. Fimevissipi est une plante et avec lui en terre c'est la nature qui reprend ses droits. Une larme trace son chemin sur son visage.


  • Vyi nuo.


Je lève les yeux vers le ciel. La journée se voulait belle. Mais le soleil est vraiment trop en colère. En désespoir, je grogne.





- Fin -



... to be conclued on next wednesday


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